Bête noire d’une presse qui l’attend toujours avec les armes bien chargées, Guillaume Canet possède pourtant un vrai talent de metteur en scène. Après un film sans doute trop nombriliste et maladroit, il revient avec un projet autrement plus ambitieux. Remake des Liens du sang de Jacques Maillot, réécrit pour l’occasion par James Gray, avec un casting proprement dément, Blood Ties est un film anachronique, fresque foisonnante à laquelle il manque surtout l’ampleur qu’aurait réussi à donner James Gray par sa mise en scène. Ce qui ne l’empêche pas, malgré ses maladresses, d’être une vraie réussite.
Les Liens du sang est sans aucun doute un des meilleurs films dans lesquels Guillaume Canet se soit impliqué. Tragique, brassant des thèmes forts, avec une reconstitution exemplaire, ce n’est pas étonnant qu’il soit rapidement tombé sur les étagères de producteurs américains. Un temps envisagé sous la direction de Ridley Scott, Blood Ties sera finalement la première expérience américaine de Guillaume Canet. Une expérience compliquée pour celui que la critique française aime se faire à la moindre occasion, parfois à raison (Les Petits mouchoirs) mais souvent très bêtement. Le récit de Jacques Maillot a eu droit à un traitement de faveur, un remaniement par le maître des tragédies modernes, James Gray. Il livre un scénario tout simplement brillant, qui se réapproprie le matériau de base pour le transcender, jonglant entre les nombreux destins, les divers couples, avec au centre l’arc narratif principal entre deux frères : un flic et un voyou. Rien de bien surprenant là-dedans, la matière narrative est taillée pour cet auteur qui y déploie toute sa science, sa compréhension des mécanismes de la tragédie, son regard si juste sur tout ce qui touche à la famille.
Une écriture toutefois prise en défaut par le montage. En effet, en l’état le film parait trop long. C’est essentiellement un problème de rythme et de manque d’ampleur, avec des parties entières du récit qui semblent expédiées quand d’autres s’étalent trop. On pense par exemple à toute la partie “succès et décadence” autour du personnage de Marion Cotillard, à peine développée alors qu’elle se révèle formidable en maquerelle. L’ambition est assez folle pour un metteur en scène français aussi peu respecté : faire une fresque sur fond de polar, à l’américaine, avec un traitement très 70′s. Car au delà de l’époque dans laquelle s’ancre le récit, c’est bien d’un mode de narration qu’il est question. Un rythme qui cherche plus à poser une ambiance qu’à créer des ponctuations. C’est tout à fait honorable dans un sens car on finit par oublier qu’il s’agit d’une reconstitution tant l’ensemble parait naturel, sauf que le revers de la médaille est que le film reste en permanence au même niveau, ne s’élève jamais à l’exception de sa formidable conclusion qui produit enfin une émotion. Car pour tout le reste, Blood Ties en est plutôt dénué, et ce même s’il contient quelques séquences au traitement très juste en terme de dramatisation. Après avoir abusé des violons dans son film précédent, Guillaume Canet fait preuve d’une sobriété exemplaire cette fois. Peut-être trop, car il ne possède pas la maîtrise de James Gray, celle qui permet, sous couvert d’une fausse sobriété, de donner une autre dimension au récit en l’élevant au rayon des tragédies grecques. Pour autant, il n’est pas question de parler de confiture donnée aux cochons. Si Guillaume Canet de brille pas nécessairement par l’inspiration de sa mise en scène, il rend une copie extrêmement solide. Blood Ties manque clairement d’une identité cinématographique mais on se situe là face à du cinéma propre, maîtrisé et même très élégant. On se prend cependant à imaginer ce qu’un tel matériau aurait donné devant la caméra de James Gray. Cela aurait sans doute été grand, là c’est juste très bien, et c’est déjà une sorte d’exploit.
Non pas qu’on émette quelque doute concernant les qualité de Guillaume Canet cinéaste, Mon idole et Ne le dis à personne étant des preuves irréfutables d’un certain talent, mais il reste un “jeune” cinéaste qui se retrouve aux USA, avec un script en or massif et un casting des plus fous à diriger. Il y a là de quoi céder à l’euphorie pour un frenchy, à perdre complètement ses repères et sa raison. Et sur ce point Guillaume Canet est impressionnant car si la retenue mentionnée plus haut est certainement la preuve d’une appréhension, voire d’un manque d’assurance, il a su garder la tête froide tout en se faisant plaisir. Et dans un sens, en faisant également plaisir au spectateur. Certes le film semble ne pas vraiment décoller, pourtant on ne s’y ennuie jamais car il est dense et multiplie les sous-intrigues, toutes passionnantes malgré des personnages féminins pas toujours bien exploités. Là où il se fait vraiment plaisir, c’est autant dans l’utilisation d’une bande-son faite de morceaux emblématiques des 70′s qui donnent un peu une sensation de juke box idéal et purement illustratif, voire stéréotypé (la sempiternelle utilisation d’Heroin de The Velvet Underground…) mais également dans ce qui parait si impersonnel : sa mise en scène. Blood Ties reproduit des motifs bien connus du cinéma de Martin Scorsese (des plans séquences pour entrer dans des bâtiments), de William Friedkin (une poursuite éreintante), et de quelques autres maîtres du polar 70′s, sans chercher à se frotter à eux pour autant. Cela donne un résultat quelque peu impersonnel, mais tout de même largement plus solide que ce que nos “auteurs” ont l’habitude de proposer. Mais il y a un domaine dans lequel Guillaume Canet excelle, c’est dans la direction d’acteurs. Et avec un tel casting, cela donne un résultat épatant. Clive Owen y livre sa plus belle interprétation depuis des lustres, Billy Crudup rappelle qu’il mériterait de travailler beaucoup plus, James Caan est tout simplement impérial, Mila Kunis et Zoe Saldana brillent encore une fois… et chaque second rôle, y compris ceux évoluant dans le registre du cliché du flic ou du gangster, est juste. Il ne fait aucun doute qu’il sera encore reproché à Guillaume Canet de vouloir faire du cinéma comme un américain, ce qui est vrai, plutôt que comme un vulgaire amateur. Il n’empêche que malgré quelques gros défauts, son Blood Ties transpire le cinéma par tous ses pores, chose tout de même assez rare dans notre beau pays.